Fond de couleur
Les bricoles de l’amour (PUNCH-DRUNK LOVE de Paul Thomas Anderson)

Les bricoles de l’amour (PUNCH-DRUNK LOVE de Paul Thomas Anderson)

Profession Reporter

Édition 2021-2022

On dirait de l’autiste qu’il a des idées fixes qui l’animent jusqu’à l’obsession. On pourrait en dire de même de l’amoureux. Mais il ne s’agit pas tant d’obtenir ce qui est désiré que de rétablir un équilibre brisé par un environnement hostile. Pour Barry, tomber amoureux c’est comme jouer de l’harmonium: inspirer le mauvais air ambiant et en expirer un air doux. 

Barry accumule les coupons, Barry accumule les péripéties mais surtout, Barry accumule les émotions refoulées qui ne trouvent mots pour s’exprimer. Il faut alors pleurer et exploser les objets à coups de poing. Les humains lui tapent sur le sytème, ils pullulent, ils insistent, ils essaient de faire rentrer une altérité qu’ils ne comprennent pas dans des arcs narratifs qui leur sont lisibles: la famille, la fête, les rituels, l’amour découpé en rendez-vous, en étapes chronologiques. En protocole. Mais l’amour de Barry n’a pas de sens. Il n’a même pas de sol. L’ombre noire qui fuyait sur un mur blanc la sale histoire de téléphone rose prend de l’épaisseur et devient contre-jour, envers et contre tout, à contre-courant.

Barry travaille dans la vente de gros. Il n’est pas donc si incongru qu’il achetât lui-même pour lui même des centaines de pots de pudding dont les coupons permettent de gagner des miles d'une compagnie d'aviation. Ses gestes d'accumulation, aussi consuméristes soient-ils, se transforment en acte poétique surréaliste: tirer du flan un vol vers une destination de rêve. Voire un acte politique: emmerder le système en jouant au con puisque il nous considère ainsi. Tel est pris qui croit prendre. Tel épris qui se méprend sur la nature humaine: qui croit trouver une oreille pour l’écouter trouve une main pour le voler.

Pour Barry, il n’y a harmonie que si respiration. Et il y a des objets partout, tout le temps. Et des humains par tous les temps. Barry casse tout pour faire du vide autour de lui, élargir les cadres. Alors même que la caméra le maintient dans un coin à l’écart, dès le début du film. Et lorsqu’elle essaie de l’intégrer à un espace plus large, c’est pour découvrir la présence d’un manque palpable  qui creuse son sentiment entretenu de solitude. Alors Barry, quand il casse, brasse du vide. Comme un harmonium. Le seul objet qu’il ne casse pas, et qu’il répare même, c’est l’harmonium. Il se bricole une histoire d’amour.On pourrait répondre à Bazin que la caméra saisit les désirs comme des accords joués sur un harmonium bricolé, réparé au scotch de déménageur et tombé là complètement par hasard.

À propos de l'auteur

Zoé Lhuillier

Zoé Lhuillier

Étudiante en double master Anglais-Cinéma, j’écris un mémoire sur Scorsese. Je suis le meilleur public qu’on puisse avoir : c’est bien simple, si il y a de l’idée et que ça m’inspire c’est que c’est un bon film (critère de référence). De toute façon je n’écris pas si je n’aime pas. Je cherche un stage aux Cahiers si jamais vous passez par là.

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