Fond de couleur
Raging Bull (1980) de Martin Scorsese: A History of Violence

Raging Bull (1980) de Martin Scorsese: A History of Violence

Profession Reporter

Edition 2022-2023

A la fin des années 70, Martin Scorsese est à bout de souffle, presque K.O. : sortant du désastre New York, New York, comédie musicale au budget excessivement élevé et échec au box-office, il est devenu cocaïnomane et semble avoir perdu tout espoir en son avenir de réalisateur. C'est alors Robert De Niro qui vint le chercher directement en cure de désintoxication avec un projet de film en main : celui d'adapter l'autobiographie du célèbre boxeur Jake LaMotta, ancien champion du monde des poids moyens. Si Scorsese n'y connaît rien en boxe, il va quand même s'approprier le projet, en en faisant une véritable catharsis. Non pas qu'il s'agisse ici d'une simple remise à niveau selon le « training montage » type, ou d'un éloge de la réalisation comme combat à mener : la catharsis de Raging Bull, c'est surtout celle de la mise en scène d'une violence omniprésente et aussi salvatrice que dévastatrice, une forme de purgation des passions qui animaient alors Scorsese.

Mettre en scène la boxe pour Scorsese, c'est alors avant-tout mettre en scène la violence, éclatante, brutale, totale et totalisante. Une violence qui se dessine en de multiple façons dans son long-métrage, comme autant de réfléchissements d'un même phénomène transcendant. Bien sûr, prône d'abord la violence dans le ring, celle qui ouvre le métrage et semble en être le centre. Il est connu que Scorsese bouleversa avec Raging Bull les codes du film de boxe en plaçant la caméra à l'intérieur du ring : dans son rapprochement du combat, le cinéaste créé en quelque sorte une intimité de la violence, même au sein d'un spectacle aussi voyeuriste que celui de la boxe. Surtout, il parvient alors à capter dans cette intimité la puissance de cette violence, sa force compacte, qui ne se déploie que peu au sein de ces séquences brèves mais s'intensifie dans son retranchement temporel.

En parallèle se développe également une violence filmée en dehors du ring. C'est là tout le paradoxe de Raging Bull : celui de se rapprocher de la boxe tel que sont immortalisées les plus infimes perles de sang sur la corde du ring, tout en s'en en éloignant drastiquement dans la dilatation de la vie chaotique de LaMotta. De fait, Scorsese filme dans cette dilatation une violence sociale qui est à la fois impulsion vitale et pourrissement de l'existence, à la source des rapports qu'entretient LaMotta avec sa femme. Mais cette violence n'est pas que psychologique, bien au contraire, elle est avant-tout corporelle, et se manifeste par le jeu très physique de Robert De Niro, jusqu'à sa prise de poids finale.

Du ring au quotidien, du dedans au dehors, le lien, qui traverse intimités et spectacles, c'est donc bien, au-delà de cette violence, son incarnation. Raging Bull se forme alors en présences, qui s'entre-choquent et résonnent à travers le film, du générique d'introduction, qui laisse l'aura du boxeur se dégager, jusqu'au monologue final face au miroir, évoquant évidemment la scène mythique de Taxi Driver. Mais si Travis Bickle était avant-tout à la recherche d'une rédemption salvatrice en s'improvisant justicier urbain, pour LaMotta il est surtout affaire de pure confrontation, sur le ring ou dans son environnement social, contre les autres et contre lui-même, en tout cas dénuée de tout sens.

Pour Scorsese, mettre en scène cette confrontation en révèle un sens presque nécessaire : c'est abolir les frontières entre le spectacle et sa société, c'est capter et révéler une violence systémique, si omniprésente qu'elle en ronge un homme physiquement et psychologiquement. Enfin, c'est créer un parallèle entre ce boxeur italo-américain et lui-même, fils d'immigrés à l'enfance difficile dans le quartier de Little Italy, et présentement cocaïnomane. Si le cinéma ne permet peut-être pas de sortir de sa condition, reste alors sa nature révélatrice, et ainsi peut-être cathartique.

Virgile Brunet

À propos de l'auteur

Virgile Brunet

Virgile Brunet

Lycéen, j’ai encore beaucoup à découvrir, et je m’intéresse au cinéma sous toutes ses formes : aussi bien Godard et Bergman que Villeneuve et Tarantino, du cinéma de toutes les nationalités et de toutes les époques. Le plus important pour moi est surtout d’avoir affaire à des auteurs: le cinéma permet alors de se jeter dans des univers singuliers et propres à des artistes différents les uns des autres.

Ses autres articles

  • VOYAGE EN ITALIE de Roberto Rossellini

    VOYAGE EN ITALIE de Roberto Rossellini

    Par Virgile Brunet

    03/02/2023
  • Fragments de vie, parcelles de soi (Vivre sa vie (1962) de Jean-Luc Godard)

    Fragments de vie, parcelles de soi (Vivre sa vie (1962) de Jean-Luc Godard)

    Par Virgile Brunet

    21/09/2022
  • « Instead of talking, he plays » (IL ETAIT UNE FOIS DANS L’OUEST, Sergio Leone)

    « Instead of talking, he plays » (IL ETAIT UNE FOIS DANS L’OUEST, Sergio Leone)

    Par Virgile Brunet

    05/07/2022
  • Prometheus (THE LIGHTHOUSE, Robert Eggers)

    Prometheus (THE LIGHTHOUSE, Robert Eggers)

    Par Virgile Brunet

    10/05/2022
Ils étaient neuf célibataires
La Filmothèque présente Ils étaient neuf célibataires En savoir plus
Fermer