Fond de couleur
Millennials chaos (MILLENNIUM MAMBO, Hou Hsiao Hsien)

Millennials chaos (MILLENNIUM MAMBO, Hou Hsiao Hsien)

Profession Reporter

Edition 2022-2023

« Moi, dit celui qui fut jeune, je ne peux pas être sage, je veux ma jeunesse, je veux un miracle, je veux les fruits et les fleurs de l’aimée, je veux n’être jamais fatigué, je réclame les hymnes noirs qui couronnaient ma tête. (…) Seul sur ma banquise, dit celui qui fut jeune, ma banquise qui me conduit on sait où dans la nuit, tout perclus et déjà agonisant, je bénis d’un geste affaibli, je bénis les jeunes qui ce soir s’enivrent d’aveux sous les étoiles aux infinies musiques susurrées. » Albert Cohen, Belle du seigneur, 1968

Le chaos est le luxe de la jeunesse. Les excès et les désillusions seraient les étapes nécessaires à l’apprentissage. La drogue, la liberté sexuelle ne sont plus que les éléments admis et décoratifs de cette jeunesse qui se jette dans le nouveau millénaire. A Taiwan, Vicky et Hao-Hao subissent une crise à base de soirée techno, d’overdose et de jalousie mortifère. Sur fond de néons et d’électro, Millenium mambo déroule les catabases de la vie conjugale.

La relation amoureuse est envenimée par les crises de jalousie maladive d’Hao Hao, et tous les désordres sont rendus si contemplatifs qu’ils semblent se réfugier dans l’amoralité. La violence demeure amorphe, greffée discrètement à l’ordinaire. Les débuts passionnels de ce couple sont totalement tus, toute tentative d’explication est mutée. Les quelques fragments de communication se soldent toujours par des échecs et la narration n’avance que grâce à une voix-off étrangement douce, qui accompagne parfaitement la beauté immaculée de Vicky. Le film s’inscrit aux côtés de In the mood for love, œuvres qui se complaisent dans une hypnose suave et vaporeuse. Le cinéma de Hou Hsiao Hsien comporte en effet des similitudes avec celui de Wong Kar wai : qu’il s’agisse de la colorimétrie, du goût pour la lenteur et pour le motif du cycle, notamment illustré par la musique répétitive et la fumée de cigarettes. Les événements s’enchainent comme des morceaux éphémères, quotidien découpé mais qui s’inscrira toujours dans un semblant d’éternité.

Millennium mambo, c’est l’entrée fracassante dans un nouveau siècle qui semble déjà s’écœurer lui-même. Sur le rythme insignifiant, mortifiant de l’éternité, il ne nous reste plus qu’à nous calquer sur le cycle des répétitions. Les siècles auront beau s’enchainer, la jeunesse restera toujours la même, réfugiée dans son chaos qui croit défigurer le monde. Jusqu’à ce qu’un jour ce désordre nous rattrape et qu’on le laisse cicatriser, comme l’infinie digression des enfants du siècle face à ces lambeaux d’éternité. Le millenium désigne aussi une longue période de paix et de bonheur sur terre, à l’image de Vicky : « comme envoutée, comme hypnotisée, elle ne pouvait pas s’échapper, et elle revenait toujours », il est nécessaire de se demander quel paradis artificiel est nécessaire pour s’enivrer de vacuité.

À propos de l'auteur

Juliette Clerc

Juliette Clerc

Etudiante en prépa littéraire, j’écris des critiques de films depuis janvier 2021. Sensible aux œuvres mêlant réalité et onirisme, mes cinéastes favoris sont Lynch et Jarmusch. J’aime concilier cinéma et littérature, car comme Cocteau l’affirme « Le cinéma, c’est l’écriture moderne dont l’encre est la lumière ».

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